Chronique du CD de Francis Couvreux

 

Avec ce disque un peu kitsch, délicieusement rafraichissant, nos trois solides musiciens se font (et nous font) plaisir sans jamais se prendre au sérieux. Les intégristes du jazz n'y venant sans doute qu'un genre de variété champagne bien loin du jazz sérieux mais à y regarder de plus près, leur petite formule acoustique très années 50 ne manque ni d'approfondissement ni de crédibilité : travail collectif d'arrangements au fil des ans (Ie trio existe depuis 8 ans ) et de réharmonisation, souci de faire sonner les choses, souci du tempo...Si la visée reste grand public, le trio donne par son traitement "jazz at thc pictures" une unité de style à des morceaux souvent mis à toutes les sauces et qui ont peu à voir les uns avec les autres (on passe de Francis Lai à Lalo Schifrin, de Claude Bolling à Anton Karas..).Bref, de petites cartes postales sympathiques sur des thèmes qui ont tous la force de l'évidence et qui sont gravés dans notre mémoire musicale et cinéphilique.
 

Laissons la parole à Alain Antonietto, fin connaisseur du jazz et des musiques dérivées :

 

"on associe souvent le jazz à une musique exubérante et lyrique, voire expressionniste, où chaque musicien essaierait d'imposer coûte que coûte son égo. Ici, loin de toute agressivité sonore, ce trio-ci s'impose au contraire par sa retenue musicale et une cohésion que n'exclue nullement la variété des timbres et des arrangements. Par l'entrelac des voix-leur opposition ou leur fusion-les Movies Swingers évoquent de façon originale, et avec une nostalgie pleine de jubilation et de verve, le climat de certaines formations des années 50. Ces petits combos où le vibraphone apportait cette quiétude aérienne si typique du jazz "cool" d'alors...On songe à Red Norvo et ses "jazz pickers", à son fameux trio également (Tal Farlow, guitare, Charlie Mingus, contrebasse), où à la vibraphoniste Marjorie Hyams du quintet de Georges Shearing, voire même au percussif Eddie Costa. Tous avaient en commun cette approche instrumentale un peu «xylophonique» qui se marie si bien avec la fluidité d'une guitare électrique et la rondeur d'une contrebasse. Bien sûr, le côté« hollywoodien » de ce jazz ternpéré aux procédés harmoniques issus en droite ligne de l'école classique française .Debussy-Ravel. a pu paraître parfois aux oreilles européennes, éprises de jazz « noir », un peu sophistiqué. Certes..,Mais il faut bien se persuader qu'aux Etats Unis, le jazz les musiques de film, TV, comédies musicales, radio show ou-comme ici- "cocktail music", sont intimement liés, et ce, sans aucun esprit de chapelle ni de connotation péjorative. D'ailleurs interprétés par les mêmes musiciens, les plus grands noms du jazz s'y sont adonné avec un grand professionalisme et sans avoir nullement l'impression de démériter : Chico hamilton, Buddy de Franco, Jim Hall,Oscar Petitford, Eric Dolphy, Barney Kessel, Herbie Mann, Paul Horn, Bill Evans, Gary Burton, Lennie Niehaus, Jimmy Raney...sont de ceux là.

De convaincantes références ! non ?  

 

 

Musique et cinéma : rétrospective galopante

 

Dés l'époque du cinéma muet, orchestres ou simples pianistes accompagnent les images projetées sur l'écran afin de couvrir le bruit de l'appareil et souligner les effets des films. Si la partition qu'écrivit Gaston Paulin pour accompagner les pantomimes lumineuses d'Emile Reynaud présentées au musée Grévin à partir de 1892 peut être considérée comme l'ancêtre de la musique originale de film, des musiciens de cinéma improvisent ou plus souvent citent des airs célébres, chansons à la mode et extraits d'oeuvres classiques, » (Découvertes Gallimard, Cinématographe, invention du siècle, E. Toulet).

Avec l'arrivée du parlant; le cinéma amorce une mutation irréversible et la musique acquiert une importance nouvelle. L'idée-force est la suivante : la musique doit accroître l'émotion suscitée par l'image, les musiques de film sont priées de souligner les images, le suspense, les bagarres et les baisers. Toutes les formes musicales (leitmotiv, chansons, romances, jazz, classique...) vont être utilisées ; un type nouveau de musicien apparait : le musicien de film.

Entre la fin des années trente et le début des années cinquante, on tire aussi des films de la plupart des grandes comédies musicales américaines. C'est l'âge d'or d'Hollywood avec ses stars incontournables, figures emblématiques du cinéma musical américain : Fred Astaire, Ginger Rodgers, Shirley Temple, Judy Garland, Bing Crosby, Gene Kelly...

A partir des années cinquante, compositeurs et réalisateurs recherchent un authentique dialogue, c'est le temps des collaborations privilégiées Fellini-Rota Mancini-Blake Edwards, Truffaut-Delerue...

Le musicien prend sa place dans le panthéon du cinéma, "le troisième homme", c'est autant le théme de Karas que le metteur en scène Carol Reed; "la Panthère rose" c'est autant le thème de Mancini que le film de B. Edwards ; les compositeurs sont aussi parfois d'illustres inconnus dont le talent musical est souvent mésestimé alors qu'ils ont largement contribué au succès financier et populaire des plus grands chefs d'oeuvres et parfois sauvé la mise de quelques insipides nanars oubliés depuis longtemps.

Beaucoup de thèmes ou de musiques composés pour le cinéma ou le petit écran vont rester présents dans les répertoires d'orchestres différents, concertistes, orchestres symphoniques, jazzmen...qui interprètent et enregistrent régulièrement leur version instrumentale. Car si l'on ne peut visionner un film en supprimant la musique, la B.O. peut vivre sa vie sans le film pour lequel elle a été écrite. Quand la musique est bonne, elle nous fait Son propre cinéma. Sur cet album, les Movies Swingers ont sélectionné et revisité 15 de ces standards, de ces tubes du ciné ou de la télévision ; collecte aléatoire de pépites éparses, révélatrice d'un amour immodéré du grand et du petit écran, de certains sons, de certaIns souvenirs qui font partie de la mémoire musicale et cinéphilique de la plupart d'entre nous.

 

 

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